• CAEN du 24 mai 2017: Déclaration FSU

     

    DÉCLARATION FSU au CAEN du 24 mai 2017

     

    Ce fut d’abord un grand soupir de soulagement, le soir du deuxième tour de l’élection présidentielle, que de voir écartée la menace de l’extrême droite. Mais au soulagement a vite succédé l’inquiétude au regard de la signification de ce scrutin. Inquiétude du fait de l’apparente inexorabilité de la progression du FN, ce dernier ayant, avec ses 10,6 millions de voix, doublé en quinze ans le nombre de ses électeurs. Inquiétude aussi devant, une nouvelle fois, l’absence de prise en considération de ce qui nourrit la désespérance sociale.

     

    Le lexique d’EM est pour le moins éclairant : « la libération des énergies » concerne surtout, dans les faits, ceux qui, de par leurs diplômes, leurs réseaux, se meuvent avec aisance dans une économie mondialisée. Ceux qui sont peu frappés par le chômage et les méfaits de la désindustrialisation, par l’ubérisation de la société et par la fermeture des services publics dans les zones rurales. Pourtant, plusieurs signaux devraient alerter et conduire à réorienter les politiques économiques et sociales. EM a été largement élu, mais, sur les 66% des suffrages exprimés qui se sont portés sur son nom, combien de réels votes d’adhésion à son programme ? Peut-on faire fi du sens des 16 millions de voix « non exprimées », fruits de l’abstention, des bulletins blancs et votes nuls ?

    La composition du nouvel exécutif ne lève aucune des inquiétudes exposées précédemment. Le subtil équilibre est respecté entre soutiens de divers bords, mais derrière l’emballage, le contenu est nettement libéral. A la droite ont été donnés les ministères du Travail, de l’Economie, de l’Action et des Comptes publics, autrement dit le pilotage du budget, à droite aussi l’Education. Nous entrons dans l’ère des entrepreneurs selon Bruno Le Maire, prophétisant sans doute ainsi ce que seront les réformes du Code du travail, des retraites, de l’éducation, de la Fonction publique…Cette dernière, corrélée à la question des comptes, ne bénéficie plus d’ailleurs de ministère de plein exercice et risque d’être pilotée plutôt par le budget que par les missions et besoins des usagers. Suppressions de postes et rétablissement du jour de carence sont plus que jamais au programme de ce gouvernement.

    Quant à l’Education nationale, elle revient à celui qui mis en œuvre les coupes budgétaires décidées par Nicolas Sarkozy, la quitta pour diriger une école de management, a déroulé dans ses écrits un programme éducatif caractérisé par quelques marqueurs tels l’autonomie, l’évaluation permanente en vue de mesurer la performance, la sélection des jeunes en fonction de leur compétence supposées…JM Blanquer se prévaut de s’appuyer sur les comparaisons internationales, la science… la FSU lui conseille surtout de s’appuyer sur les personnels…

    Le programme d’EM fixe des objectifs précis pour le lycée, qui renvoient à des scénarios très précis.

    Cette nouvelle organisation du lycée est présentée comme articulée au renforcement de l’autonomie des établissements, au développement de l’innovation et à la promotion de l’apprentissage... Le baccalauréat, qualifié de « totem » dans les discours du candidat Macron, en serait réduit à ponctuer le « continuum bac-3/bac+3 », déjà promu par les gouvernements précédents.  « Revoir la forme du baccalauréat (quatre matières obligatoires à l’examen final et le reste en contrôle continu) afin de rendre possible de nouvelles formes d’organisation du temps scolaire et de nouveaux parcours », les propos sont clairs.

    Les think tanks des instituts Terra nova et Montaigne, ainsi que l’organisme gouvernemental France Stratégie, voient ici repris la plupart de leurs préconisations, parfois mots pour mots. On peut ainsi identifier deux options chacune supposant de profondes transformations de l’architecture du système éducatif.

    Il s’agirait pour la première de créer des parcours intégrés entre le lycée et la licence en déterminant l’orientation vers des filières sélectives longues pour les uns, vers des filières professionnelles pour les autres. Les élèves souhaitant poursuivre en licence « libre » dans les formations générales devraient passer un « test de positionnement » durant la Terminale.

    La seconde option vise à permettre aux élèves de construire leur parcours à la carte à partir de modules au terme desquels les compétences acquises seraient clairement identifiées.

    Et cerise sur le gâteau, la question de la création d’un corps enseignant commun au lycée et au premier cycle universitaire est posée. Dans son rapport de juin 2013, Tera Nova va encore plus loin en détaillant une organisation du cycle terminal en quatre semestres, chacun avec sept « unités d’enseignement », l’unité renvoyant à 4 heures de cours hebdomadaire. La validation des unités est pensée sous la forme de contrôle en cours de formation avec deux épreuves à la fin des semestres 2 et 3, le dernier étant réservé à des travaux interdisciplinaires.

    Pour ce gouvernement, sous couvert de modernité, on retrouve peu ou prou le triptyque « semestrialisation, modules, contrôle continu », en partie envisagée (pour être abandonné) par la réforme Darcos de 2009. En l’état, ces projets consommeraient la rupture entre collège et lycée, pour institutionnaliser la sélection à l’entrée des universités et même dès le lycée. Ils sacrifieraient l’ambition d’une culture commune émancipatrice sur l’autel de parcours individuels évalués localement.

    La FSU et ses syndicats ont fait le choix de poser immédiatement leurs sujets et d’avertir qu’ils combattront toute mesure qui irait à l’encontre des intérêts des personnels et des élèves.

     

    Concernant l’ordre du jour,

    Collèges, lycées 

    Dans le second degré, le bilan du quinquennat n’est pas à la hauteur des objectifs affichés ni de la priorité à l’Education affirmée pendant la campagne présidentielle. Après les dégâts causés sous le quinquennat Sarkozy avec 592 postes supprimés dans notre académie, le gouvernement a certes créé 94 postes pour les stagiaires mais n’a en réalité réimplanté que 141 postes dans les établissements sur la mandature alors que le nombre d’élèves a augmenté de 3 000 sur la période 2012-2017 ! Il manque donc 451 postes par rapport à 2012. Les conditions de travail pour les personnels et d’apprentissage pour les élèves n’ont fait que se dégrader durant cette période. Quant aux créations de postes en collège pour la rentrée 2017, quasiment la moitié (42%) sont la conséquence de la réforme du collège imposée contre les personnels, à savoir le quart d’heure supplémentaire d’autonomie prévu à la rentrée 2017 !

    Même si on peut constater une amélioration du taux d’encadrement en collège, qui reste cependant très inférieur à celui de 2008, première rentrée du quinquennat Sarkozy, il n’en va pas de même en lycée, avec un taux d’encadrement qui se dégrade de nouveau, alors que les effectifs sont déjà pléthoriques ! Il manque 13 postes pour maintenir le même taux que l’an dernier, déjà très inférieur au taux de 2008 ! Le taux d’encadrement en lycée était même meilleur en début de mandature, malgré la quasi disparition du redoublement en fin de seconde ! Quelles garanties sur le maintien des moyens en collège, une fois la réforme du collège digérée bien malgré eux par les personnels ? La diminution des HSA par emploi, de l’ordre de 0,6%, est très insuffisante et ce taux reste très élevé. Pour la FSU, la diminution du nombre de HSA par emploi est une nécessité qui passe par des créations de postes en nombre suffisant.

    Au final, où sont passées les ambitions gouvernementales ?

     

    Education Prioritaire 

    La très faible baisse des effectifs dans les collèges de l’Education Prioritaire, de 26 à 25 élèves, n’aura que peu d’impact sur la réussite des élèves et les conditions de travail des enseignants, comme des études l’ont prouvé. La FSU revendique des effectifs de 20 élèves par classe dans les collèges de l’Education Prioritaire.

    L’annonce de 450 postes supplémentaires pour la rentrée 2017 et les déclarations de la Ministre affirmant que les lycées ont vocation à rester dans l’éducation prioritaire sont de premiers éléments de réponses à la mobilisation des personnels. Les politiques d’éducation prioritaire doivent aussi concerner les lycées. A ce titre les choix opérés par le rectorat pour l’affectation des 6 emplois réservés aux lycées fragiles nous semblent pour le moins surprenants compte tenu des critères retenus (CSP défavorisées, boursiers). Pourquoi si peu de Lycées professionnels dans cette liste, alors que ces établissements correspondent bien souvent aux critères de CSP et de boursiers ? Pourquoi ne pas avoir utilisé l’ancienne carte de l’EP de notre académie en la réactualisant ?

     

     

    Voie Professionnelle 

    Si l’on peut acter positivement la légère augmentation du nombre d’emplois dans les SEP et LP, il faut néanmoins noter leur diminution dans les EREA et le maintien à un niveau très élevé du nombre d’HSA par emplois à 1.82 à la rentrée 2017, pallier constant depuis 2014. Par conséquent, nous n’aurons pas constaté depuis 5 ans une hausse sensible des emplois dans la Voie Professionnelle sur l’académie, seule à même d’améliorer les conditions de vie et de travail des collègues par, notamment, une fluidification des mouvements inter et intra académiques.

    Nous attendions peu du plan « 500 » formations, et au final  il se traduit par peu d’ouvertures de structures sur l’Académie de Clermont-Ferrand : un groupe de BAC Pro sur Thiers et quelques Mentions ou Formations Complémentaires sur l’Académie.

    Sur 500 formations au niveau National  seules 150 concernent des sections de CAP et de bacs pros. Un comble lorsqu’on sait que certaines annonces de « créations » ne sont en réalité que de simples augmentations de capacités d’accueil. De plus, le « chiffrage » de la Ministre ne soustrait pas les fermetures massives imposées dans de nombreuses académies : dans deux tiers des académies, un CAP est fermé pour deux ouvertures, un bac pro est fermé pour 1,5 ouverture ! Quant à l’ouverture de sections de BTS, le SNUEP-FSU aurait pu l’acter positivement si elle n’avait pas été financée en partie sur le dos des fermetures de sections de CAP et bacs pros.

    Le bilan des emplois de la Voie Professionnelle sur la période 2012-2016  s’en ressent puisque 3340 emplois ont été perdus dans les lycées pro, 10.000 en dix ans et au final les 1.000 emplois réinjectés en urgence pour la rentrée prochaine ne se traduit que par 234 postes qui auront été budgétisés dans la loi de finances 2017, les fermetures de sections énoncées plus haut permettant encore une fois la manipulation des chiffres.

    Ainsi sur le plan académique, nous tenons également à dénoncer la baisse des capacités en seconde du BAC PRO Métiers de l’électricité et environnement sur Charles et Adrien Dupuy au Puy en Velay, établissement fortement mobilisé avant les vacances de printemps et nous demandons que soit faite  la proposition au Lycée Geneviève Vincent de Commentry d’ouvrir une  seconde GT en maintenant ses autres sections de la Voie Professionnelle ..

     

    Quoiqu’en pensent les Régions de France, les thinks tanks Terra Nova et l’Institut Montaigne, le Président de Région et le Président de la République, l’apprentissage n’est pas la solution.

    Il répond sans aucun doute aux  attentes des entreprises à court terme, à l’adéquationnisme formation/bassin d’emplois, à certaines difficultés à recruter dans l’industrie ou dans des branches  comme l’Hôtellerie-Restauration mais il ne peut résoudre les problèmes d’attractivité des métiers ( image, conditions de travail et de rémunération), la résorption des plus des 600.000 chômeurs  que compte la Région AURA, les blocages de progression dans l’entreprise  car l’apprentissage reste discriminant . On sera apprenti ou pas selon que l’on est un garçon, avec un nom à consonance européenne, venu de quartiers favorisés  et plutôt diplômé. 

    Traversez le Lac Léman et regardez le modèle suisse qui rééquilibre son système éducatif du certificat fédéral de capacité (Apprentissage) vers la maturité fédérale (Bac général) et qui a créé la maturité professionnelle soit un bac pro 4 ans pour favoriser la montée des qualifications via l’université et les écoles d’ingénieurs.


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    Le décret n°2017-790 paru au Journal officiel du 7 mai définit le bloc de compétences dans le cadre de plusieurs diplômes ainsi que les modalités de leur acquisition.

    La prise en compte des blocs de compétences pour obtenir un brevet professionnel, un brevet des métiers d’art ou une mention complémentaire dans le cadre de la formation professionnelle continue ou de la VAE (validation des acquis de l’expérience) est possible à compter de la session 2017. Et c'est donc ce décret qui en précise les modalités.

    Deux exemples :

    • la durée minimum de formation pour se présenter à l’examen du brevet professionnel au titre de la formation professionnelle continue est supprimée ;
    • un document attestant de la maîtrise des compétences liées à un bloc doit être délivré aux candidats ayant obtenu un ou plusieurs blocs de compétences, lui permettant ainsi de faire valoir cette acquisition.

    https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2017/5/5/MENE1710330D/jo/texte


  • Stéphane Beaud : « La jeunesse populaire paie “plein pot” les transformations du marché du travail »

     

    Violences scolaires, affrontements avec la police, délinquance, radicalisation : l’actualité alimente les stigmates qui pèsent sur les jeunes des classes populaires, en particulier ceux des « cités ». Dans Une génération sacrifiée ? (Editions rue d’Ulm, 270 p., 25 euros), codirigé avec Gérard Mauger, le sociologue Stéphane Beaud (Ecole des hautes études en sciences sociales, université Paris-X-Nanterre) arpente la réalité que traverse cette jeunesse : leur expérience douloureuse de l’école, leurs désillusions aux portes du marché du travail, leur rapport à leur héritage culturel…

     

    Ce qui frappe, c’est le point de départ commun aux neuf enquêtes réunies dans « Une génération sacrifiée ? » : la désindustrialisation de la France, la « crise de reproduction du monde ouvrier ». Pourquoi ce prisme ?

     

    Par ce livre, nous avons voulu rappeler une évidence souvent oubliée : la désindustrialisation se poursuit et la situation actuelle des jeunes des classes populaires est l’un des effets à moyen terme de cette longue crise industrielle. Autre évidence : la jeunesse des classes populaires ne se réduit pas à celle des cités. C’est certes elle qui fait le plus parler d’elle, mais il y a tout un pan de cette jeunesse – rurale, rurbaine, de ville moyenne – qui est aujourd’hui méconnu.

     

    « TRAVAILLER SUR LA JEUNESSE POPULAIRE, C’EST MONTRER À QUEL POINT L’ÉCOLE CLASSE FORTEMENT ET DURABLEMENT LES MEMBRES DE CETTE “GÉNÉRATION SACRIFIÉE” »

     

    En réalité, la jeunesse populaire est très clivée, du fait des inégalités de certification scolaire. Il y a d’un côté ceux qui, via l’école, s’en sortent par le haut, et de l’autre ceux qui, peu ou non diplômés, n’ont pas pu atteindre la norme des études longues et en sont touchés, même s’ils le dissimulent, dans leur dignité sociale. Travailler sur la jeunesse populaire, c’est montrer à quel point l’école classe fortement et durablement les membres de cette « génération sacrifiée ».

    Le tableau que vous dressez de cette jeunesse vient-il confirmer la thèse, très en vogue, du « déclassement » ?

    Evitons toute équivoque : le thème du déclassement concerne surtout les classes moyennes. La jeunesse populaire, elle, est déjà en bas de l’échelle sociale. On dit génération « sacrifiée » parce que, dans le domaine de l’accès à l’emploi, un profond décrochage s’est effectué pour les générations nées à partir des années 1980. La jeunesse populaire d’aujourd’hui est – il faut le dire et le redire – celle qui paie « plein pot » les transformations du marché du travail : réduction des emplois ouvriers, chômage de masse, précarisation, tertiarisation des emplois sans qualification.

     

    « MAINTENUS DANS UN STATUT INDÉTERMINÉ, MARQUÉ PAR UNE ALTERNANCE ENTRE STAGES, CONTRATS PRÉCAIRES ET CHÔMAGE, CES JEUNES VIVOTENT SANS PERSPECTIVES D’AVENIR »

     

    Revenons toutefois à l’histoire. Auparavant, les enfants d’ouvriers aspiraient tôt à l’indépendance pour échapper aux parents. A 16-18 ans, ils travaillaient, et c’est dans l’épreuve du travail, dans cette confrontation avec les anciens, qu’ils se construisaient. Aujourd’hui, quelles accroches ont-ils pour se construire ? La difficulté d’accéder à un emploi stable retarde toute socialisation professionnelle et allonge le temps de la jeunesse.

    Maintenus dans un statut indéterminé, marqué par une alternance entre stages, contrats précaires et chômage, ces jeunes vivotent sans perspectives d’avenir. Dans ce contexte, on ne peut que constater l’insigne faiblesse des politiques publiques pour les sortir de cette spirale. Ces jeunes-là n’ont jamais été une priorité pour la gauche de gouvernement, malgré de beaux discours.

    La succession de violences scolaires ces derniers mois, notamment dans les lycées professionnels, donne l’impression d’une exacerbation des tensions. Faut-il y voir l’expression d’une expérience douloureuse de l’école ?

    Certains lycées professionnels concentrent des jeunes qui subissent toutes les relégations : sociale, urbaine, scolaire. Après la 3e, beaucoup sont orientés par défaut dans une filière professionnelle, avec le sentiment, malgré toute la bonne volonté des enseignants, qu’ils sont embarqués dans un parcours sans avenir.

     

    « DANS LES LYCÉES PROFESSIONNELS, LA CULTURE ANTIÉCOLE S’EST AMPLIFIÉE – INDISCIPLINE, CULTURE DE RUE, MONDE DES BANDES… »

     

    Les lycées professionnels sont les principales victimes collatérales de cette norme des études longues qui s’est étendue depuis les années 1980. Le mot d’ordre « 80 % d’une classe d’âge au bac » entretient l’illusion promotionnelle, mais les jeunes n’en restent pas moins voués au salariat précaire. Dans ces lycées, la culture antiécole s’est en conséquence amplifiée – indiscipline, culture de rue, monde des bandes… Les jeunes y trouvent une façon de restaurer une estime de soi mise à mal par la relégation scolaire et la stigmatisation politique.

    On perçoit dans plusieurs enquêtes du livre un désarroi proprement masculin chez les jeunes de milieux populaires en quête de « virilité ». Pourquoi ?

    Autrefois, la virilité ouvrière s’exhibait dans la force de travail : la capacité à travailler dur, à tenir les cadences, à défendre sa dignité de travailleur… Aujourd’hui, elle s’exerce autrement. Dans le sport ou dans la culture de rue, on fait parade de sa force de combat à travers un style agressif et provocateur. Dans les vêtements, le langage ou la gestuelle, on retourne les stigmates, on surjoue le côté « rebelle », « racaille » ou « gros bras » – ce qui n’est pas forcément séduisant aux yeux des filles. Certains « gars de cité » anticipent d’ailleurs cette forme de désavantage sur le marché matrimonial en allant chercher une conjointe au « bled ».

    Et les filles ? On présume que leurs meilleurs parcours scolaires leur permettent d’échapper au chômage, à la reproduction sociale. Est-ce vrai ?

    Pas de roman à l’eau de rose ! Si les statistiques établissent leur suprématie scolaire, les travaux de ­Cédric Hugrée montrent une polarisation de la scolarité des filles de milieux populaires : elles sont majoritaires à décrocher un diplôme de l’enseignement supérieur, mais une minorité importante reste à l’écart de cette nouvelle norme scolaire et fait l’expérience précoce de la relégation, voire de l’éviction scolaire avant le bac.

     

    « LES FILLES DE MILIEUX POPULAIRES SONT SOUVENT AFFECTÉES DANS LES FILIÈRES LES MOINS PAYANTES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL »

     

    Par ailleurs, les mécanismes sexués d’orientation se perpétuent : les filles de milieux populaires sont souvent affectées dans les filières les moins payantes sur le marché du travail et, au lycée professionnel, elles sont concentrées dans les filières qui ont le moins de débouchés, comme la comptabilité, le secrétariat ou la vente. En cas d’échec scolaire, elles ont tendance à chercher dans la vie de couple et la maternité une forme de statut social respectable – à rebours des milieux favorisés, où la réalisation de soi passe davantage par le travail et les études sélectives longues, la maternité venant conclure un parcours réussi.

     

    Le livre évoque aussi une « dilution de la conscience de classe » auparavant structurée par la culture « PC-CGT ». Qu’en reste-t-il ?

     

    Tout ce qui jouait un rôle d’encadrement du milieu ouvrier – le Parti communiste, les syndicats, les maisons de quartier, souvent tenues par des mairies de gauche – s’est affaissé. Dans les quartiers où se concentrent les populations immigrées se sont développées de nouvelles formes d’encadrement, souvent religieuses, mais aussi étatiques – politiques d’insertion, politique de la ville, etc.

     

    Quelles leçons peut-on tirer de ces élections à propos des jeunes de milieux populaires ?

     

    Les données en ligne des instituts de sondage ne permettent pas, malheureusement, de croiser âge, profession et diplôme. Les jeunes sont plus abstentionnistes, ceux des catégories populaires certainement davantage encore : un effet de leur position sociale, associée à un faible niveau d’information, un sentiment d’incompétence, l’impression que ce sont toujours les mêmes figures au pouvoir, que rien ne change, que personne ne parle pour eux.

     

    Parmi ceux qui votent, il faudrait pouvoir creuser la différence entre les pro-Mélenchon et les pro-Le Pen. Glisser un bulletin Front national dans l’urne peut marquer une volonté de se distinguer de la « racaille » et de « se venger », en quelque sorte, des tensions qu’ils ont connues lors de leur adolescence avec les jeunes issus de l’immigration qui partagent la même condition sociale.

    Enfin, n’oublions pas que, parmi les votants Macron au premier tour, 19 % n’ont pas le bac. On peut faire l’hypothèse d’une sorte d’effet Tapie bis, à savoir un discours sur la réussite, sur l’entrepreneur, qui séduit une fraction non négligeable de la jeunesse populaire, y compris celle des cités qui stationne aux portes du marché du travail depuis des lustres.

     

     

     


  • 1° GT vœux et barèmes
    Il s'est tenu jeudi après-midi. Vos commissaires paritaires vous ont envoyé des mails et/ ou

    des lettres récapitulant vos vx et barèmes; Pour toute question contactez les via
    TREVISIOL Ugo, Commissaire paritaire, PLP lettres-histoire
    :
    téléphone 06 25 07 66 83   mail : snuep.clermont@gmail.com

    Prochaine étape: la CAPA en juin!

    2°Autoportrait du Ministre: Nous restons plus que vigilants!
    http://snuep-clermont.ek.la/le-ministre-pour-une-regionalisation-des-lycees-pro-a130194396

    3° Mercredi 24 mai CAEN à Clermont-FD avec le Recteur / La Région et tous les partenaires ...

    4°Il n'est pas trop tard pour cotiser: les cotisations sont valables un an.
    http://snuep-clermont.ek.la/bulletin-d-adhesion-valable-pendant-12-mois-apres-adhesion-a129068188

    5°Mardi RDV collègue

    Nous vous souhaitons une bon week-end et surtout un grand viaduc à venir!


  • Jean-Michel Blanquer, un spécialiste marqué à droite à l’éducation nationale

    Le directeur de l’Essec, âgé de 52 ans, a été deux fois recteur et numéro deux rue de Grenelle. Sa vision des réformes promises est « Macron compatible ».

    LE MONDE | 17.05.2017 à 15h51 • Mis à jour le 18.05.2017 à 07h43 | Par Mattea Battaglia et Aurélie Collas

           

    Jean-Marie Blanquer en 2012, à Paris. Jean-Marie Blanquer en 2012, à Paris. THOMAS SAMSON / AFP

    L’« ère Blanquer » au ministère de l’éducation a démarré sous trois auspices. Trois mots-clés que le nouveau locataire de la rue de Grenelle a égrenés, mercredi 17 mai, au long de son premier discours : « République », « excellence », « bonheur ». Un attelage hétéroclite que d’autres notions sont venues compléter : « respect », « confiance », « innovation », « responsabilité »… Face aux défis de l’école, « la démarche moderne que nous devons avoir au XXIe siècle » se doit, pour le nouveau ministre, d’être fondée sur la « science », l’« expérience », l’« évaluation ».

    Le ton est indubitablement plus froid, plus distancié que celui par lequel sa prédécesseure, Najat Vallaud-Belkacem, avait un peu plus tôt clos ses 993 jours au ministère. Mais pas moins assuré : Jean-Michel Blanquer, 52 ans, est à l’hôtel de Rochechouart en terrain connu. Il y a été le « numéro 2 » sous la droite, entre 2009 et 2012, au poste de directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco). Un « ministre bis » aux côtés de Luc Chatel, que l’on disait alors peu au fait des réalités scolaires. Il y a conservé des soutiens, des fidèles. Bref, des repères.

    Pour la communauté éducative, c’est aussi un personnage connu, et pas seulement parce qu’il dirige depuis quatre ans l’Essec, l’une des plus grandes écoles de management françaises : Jean-Michel Blanquer reste, aux yeux des enseignants, celui qui a fait appliquer la politique éducative sous le quinquennat de Sarkozy, une période marquée par les coupes budgétaires et un discours très dur à l’encontre des fonctionnaires. Et l’inspirateur d’évaluations en maternelle qui avaient, à l’automne 2011, provoqué un tollé.

    Un expert, un technicien

    Tout au long de sa carrière, ce diplômé de philosophie, agrégé de droit – le plus jeune de sa génération –, a occupé de hautes fonctions d’administrateur au sein de l’éducation nationale. S’il fallait le ranger dans une catégorie, ce serait moins celle du politique – il n’a jamais assumé aucun mandat électif – que de l’expert, du technicien.

    Lire aussi :   Le tirage au sort à l’université, la bombe à désamorcer pour Frédérique Vidal

    Ce fils d’une enseignante anglaise et d’un avocat parisien accède, sous la droite, à des postes de premier plan : il est nommé recteur de Guyane à 40 ans, en 2004. « Tu seras le seul recteur à avoir une pirogue de fonction », lui aurait-on glissé pour lui « vendre » ce premier poste. L’année suivante, il est pressenti comme ministre de l’éducation nationale dans le gouvernement de Dominique de Villepin, mais il sera finalement directeur adjoint du cabinet de Gilles de Robien.

    Il prend, en 2007, la direction de l’académie de Créteil, l’une des plus vastes et des plus difficiles de France métropolitaine. Il s’y forge la réputation d’un recteur bouillonnant – l’« hyperrecteur » , donnant son feu vert à tous types d’expérimentations. Celles-ci germent sur ses terres, autant (ou presque) que les polémiques.

    Ce sont les débuts des internats d’excellence pour élèves méritants issus des milieux défavorisés. Les débuts, aussi, de la « mallette des parents » ou du « cartable numérique » pour les collégiens, le développement des microlycées… Sans oublier la « cagnotte » pour les décrocheurs censée inciter les lycéens à plus d’assiduité. Payer les jeunes pour qu’ils ne sèchent pas les cours ? Le projet met en émoi la communauté éducative.

    Un homme pragmatique

    En homme pragmatique, le recteur Blanquer fait évaluer ces expériences par l’Ecole d’économie de Paris. Une méthode qu’il défend : le pilotage par la science et les résultats. C’est aussi celle qu’il continue à employer en tant que directeur général de l’enseignement scolaire, fonction qu’il quitte en 2012, remercié par la gauche.

    Avant l’Essec, où il s’installe en 2013, son regard se porte vers l’Institut d’études politiques de Paris (IEP) qui pleure son directeur Richard Descoing. Sa candidature, parmi une vingtaine d’autres, ne sera finalement pas retenue, mais Jean-Michel Blanquer a su l’imposer dans la « short-list » finale, avant que l’énarque Frédéric Mion ne soit nommé.

    De lui, peu de choses filtrent : on connaît sa passion pour l’Amérique latine, son amitié avec le maire (LR) de Troyes François Baroin, son soutien à l’ex-institutrice innovante Céline Alvarez, guère plus. Ses références au philosophe Edgar Morin – qui a donné son nom à la « chaire de la complexité » inaugurée à l’Essec – comme au neuroscientifique Stanislas Dehaene. Et son goût, certain, pour l’écriture.

    En 2014, vingt ans après un premier essai sur l’ENA, il publie L’Ecole de la vie puis, en 2016, L’Ecole de demain (tous deux chez Odile Jacob), accueillis comme un programme ministériel assumé. Son projet pour l’éducation prend également corps dans les médias. Sur France Info, à l’émission « Moi président » fin 2016, il explique que sa mesure phare porterait sur l’école maternelle. Dans un entretien à L’Expansion en décembre 2016, il s’exprime comme s’il s’apprêtait déjà à revenir au ministère de l’éducation nationale.

    « Une troisième voie »

    Dans l’entre-deux-tours de la campagne présidentielle, Jean-Michel Blanquer a, sans le nommer, pris position contre le Front national. Sur Twitter le 3 mai, il mettait en garde ses étudiants de l’Essec « si la France devait prendre [le 7 mai] un chemin contraire à cet idéal ». Le lendemain, dans Le Point, il consacrait sa chronique à interroger « une troisième voie en éducation ».

    Son programme tel qu’il transparaît dans son dernier ouvrage – élaboré avec l’aide de l’Institut Montaigne, un think tank libéral – est indubitablement « Macron compatible ». Au point qu’on peut se demander si M. Blanquer n’en a pas été l’un des principaux inspirateurs. On y retrouve la priorité aux premières années de la scolarité et la proposition de diviser par deux la taille des classes dans les zones d’éducation prioritaire.

    On y retrouve aussi les stages de remise à niveau, l’été, pour les élèves en difficulté, les études dirigées le soir pour les collégiens, une réforme du baccalauréat, un principe d’autonomie très fort… Autant de promesses de campagne du candidat Macron.

    A le lire, l’éducation nationale n’est pas un « mammouth » irréformable ; il préfère à cette image un peu galvaudée celle du « diplodocus », « avec un grand corps et une petite tête » précisait-il à la presse à la rentrée 2014. On verra dans les prochains mois s’il parvient à mettre en musique les promesses de campagne d’Emmanuel Macron face auxquelles les syndicats d’enseignants semblent déjà prêts à serrer les rangs.

     

    En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/politique/article/2017/05/17/jean-michel-blanquer-un-specialiste-marque-a-droite-a-l-education-nationale_5129208_823448.html#JT2xspQ2IeegCBt1.99

  • "L'école de demain", le programme libéral pour l'Ecole 

    La droite a-t-elle enfin trouvé son programme pour l'école ? A côté des petites phrases dérisoires des candidats à la primaire, c'est un véritable programme pour l’Éducation nationale que propose le nouveau livre de Jean-Michel Blanquer. Présenté comme "équilibré", "fondé sur la science" et même soucieux de ne pas perturber le système actuel, le programme que dessine "L'école de demain" est une véritable rupture avec l'école qui s'est construite ces dernières années.

                                      

    Un programme prétendument modéré

    Si l'on en croit Jean-Michel Blanquer, c'est un "modèle éducatif équilibré, mélange réussi de tradition et de modernité, d'épanouissement et de rigueur" que propose "L'école de demain", arbitré uniquement par les acquis scientifiques, par "ce que nous enseigne l'expérience" et "ce que nous enseigne la science".  Pourtant, en 150 pages, l'ouvrage redessine tout le système éducatif de la maternelle au lycée, en redistribuant les moyens, les pouvoirs et les attributions des différents corps. C'est en réalité une révolution dans l'École que promet Jean-Michel Blanquer.

    L'ouvrage repose sur deux forces.  La première c'est l'auteur lui-même. Jean-Michel Blanquer connait l'École. Il a été recteur, directeur adjoint du cabinet de G de Robien et directeur de la Dgesco, la division la plus importante du ministère en charge de l'enseignement scolaire, de 2009 à 2012. Il a laissé au ministère nombre de fidèles et d'idées et son influence y est toujours grande.

    Alors que les candidats de la droite balancent des petites phrases dont on ne peut même pas imaginer la réalisation (l'examen d'entrée en Ce1, le salut au drapeau, l'examen d'entrée en 6ème etc.), Jean Michel Blanquer avance un programme qui est présenté comme modéré et qui surtout correspond à des modes de pensée déjà présents au ministère.

     

    Le pilotage par la science...

    L'ouvrage se présente aussi comme une application des découvertes "scientifiques" en éducation. Ce que propose l'ouvrage ce ne sont pas les idées de JM Blanquer mais "ce que la science apprend". L'ouvrage s'appuie sur une bibliographie largement anglo-saxonne et, pour sa partie française , très orientée, qui semble appuyer les préconisations de l'auteur. Il se situe ainsi dans le courant de "l'éducation par la preuve" qui commence à perdre pied outre Atlantique mais qui aborde maintenant l'école française. Ce courant justifie un cadrage pédagogique précis des enseignants et le recours systématique à l'évaluation.

    JM Blanquer met ainsi en avant les évaluations en Ce1 et Cm2 qu'il avait imposées quand il était directeur de la Dgesco. On sait maintenant que l'idée venait de N Sarkozy lui-même qui souhaitait ainsi évaluer les enseignants. JM Blanquer continue à estimer ces évaluations  scientifiques, ce qui a été fort contesté à l'époque par la Depp d'abord, puis par le HCE. On comprend que JM Blanquer tienne à ce dispositif. Mais en lui attribuant un caractère "scientifique", il atténue fortement la portée scientifique de ses autres affirmations.

    De fait, l'ouvrage ne détaille pas les modèles pédagogiques qu'il veut imposer. Mais comme l'ouvrage se présente, en page 13, comme réalisé avec l'Institut Montaigne, on peut quand même rappeler que ses recommandations sont loin de faire l'unanimité. Ainsi le dispositif "Agir pour l'Ecole" a été évalué positivement par une étude commandée par Agir pour l'école. Mais ses résultats sont rejetés par des spécialistes reconnus.

    A noter que JM Blanquer propose de réduire fortement (de moitié) les effectifs élèves en éducation prioritaire et en maternelle. Une proposition qu'il a pourtant combattue au cabinet de G de Robien quand celui ci a censuré une étude de Valdenaire et Piketty reposant sur les résultats constatés dans les classes de l'éducation prioritaire à petits effectifs.

     

    Les quatre principes du livre

    Si l'ouvrage consacre un chapitre à chaque niveau de l'École, un autre sur les enseignants et un dernier sur le système éducatif, quatre grands principes s'en dégagent.

    Le premier principe c'est l'autorité. JM Blanquer veut cadrer les pratiques pédagogiques dans l'éducation nationale. Et pour que cela soit possible il souhaite renforcer les pouvoirs des chefs d'établissement et des directeurs d'école, qui deviendraient les supérieurs hiérarchiques des enseignants. Les enseignants seraient recrutés sur profil et évalués par les seuls chefs d'établissement, à l'image de ce qu'avait institué le décret Chatel en 2012 (annulé ensuite par V Peillon). Les inspecteurs disparaitraient, fondus dans un corps unique avec les chefs d'établissement (ce qui est une revendication de certains syndicats) et vaguement associés comme "experts disciplinaires" au contrôle des enseignants.

    Le second principe c'est l'autonomie des établissements, c'est-à-dire en fait des chefs d'établissement. Outre le pouvoir sur le personnel, ils auraient une large liberté pour affecter la dotation horaire entre les disciplines.

    Troisième principe : les fondamentaux, réduits par JM Blanquer aux seuls français et maths. Au primaire, ces deux disciplines représenteraient 20h / 26 h d'enseignement (actuellement il y a 24h d'enseignement). Dans le secondaire, elles représenteraient 10 heures hebdomadaires au minimum.

    Le quatrième principe en découle : c'est la hiérarchisation. Sous prétexte "d'intelligences multiples", pourtant peu développées au primaire, le nouveau "collège commun" préparerait des parcours spécifiques pour les élèves. Ceux ci seraient réunis en "groupes de compétences", une formule qui pourrait bien se réduire à des groupes de niveau dont on sait bien qu'ils empêchent la progression des plus faibles. Ce tri précoce des élèves aboutirait pour une partie d'entre eux à une voie professionnelle débouchant sur l'entrée dans la vie active. Finie la poursuite d'études supérieures pour les bacheliers professionnels. Les lycée professionnels seraient confiés aux régions et adaptés aux "besoins économiques territoriaux".

    Un aspect de cette hiérarchisation est la mise en concurrence des établissements. Si les résultats des lycées sont publiés depuis des années, on a vu récemment ceux des collèges connaitre le même sort à travers les résultats du brevet. JM Blanquer irait encore plus loin en publiant les résultats des écoles primaires. On accélèrerait ainsi l'éclatement du système éducatif avec tous les effets de relégation que l'on connait actuellement dans le secondaire.

    On aura retrouvé dans ces 4 principes ce qui fait convergence entre les candidats à la primaire de la droite. La personnalité de l'auteur, son parcours, le soutien de l'Institut Montaigne, ses appuis au sein du ministère font de JM Blanquer un ministre potentiel et de son ouvrage un livre programme pour un président soucieux de réduire le budget de l'Éducation nationale et de mettre au pas la machine éducative.

     

    François Jarraud

     

     

    Huit questions à Jean-Michel Blanquer

     

    Le livre s'appuie sur une bibliographie largement nord américaine même quand il y a des publications françaises sur le même sujet. Par exemple pour défendre l'idée de réduction du nombre d'élèves par classe en Rep je me serais appuyé sur Valdenaire... Pourquoi ce choix de ressources nord américaines ? Compte tenu des forts écarts entre les système éducatifs, est-ce judicieux ?

    En matière scientifique, l’universalisme est de mise me semble-t-il. J’ai beaucoup lu et travaillé à partir de la recherche française et elle est souvent citée dans le livre. Par exemple, l’École d’économie de Paris a produit depuis le début de la décennie des évaluations et des études de première qualité auxquelles je fais référence abondamment. De façon plus générale, il y a beaucoup de sources françaises dans mon livre : Garcia et Ollier, Fayol, Gurgand et Morin,  Dehaene, Gentaz et Sprenger-Charolles, etc.

    L'expérimentation en éducation existe depuis les années 60 dans le monde. Les résultats sont en général convergents : sur la taille de classe, sur les méthodes structurées, sur le temps d'apprentissage. Donc on peut de plus en plus parler de connaissances scientifiques qui permettent de prendre de bonnes décisions.

    Sur le point que vous évoquez, je me réfère explicitement à l'article de Bressoux et Lima sur le dédoublement des classes de CP réalisé par Luc Ferry. Cet article me semble d’ailleurs plus pertinent que celui de Valdenaire car il s’appuie sur une expérimentation et non sur une simulation.

    Au-delà de ce cas, je ne prétends évidemment pas être exhaustif. Mais je cherche justement à ouvrir les perspectives. Lorsque je me réfère à Esther Duflo, chercheuse française, basée aux États-Unis et travaillant sur des terrains comme l’Inde ou l’Afrique, est-ce que je me réfère à de la recherche d’une nationalité particulière ? Je ne sais pas.

    Il se trouve qu’il y a dans les universités des États-Unis des recherches et des méthodes de premier plan sur des sujets qui concernent tous les pays. Et certaines expérimentations sont parmi les plus probantes.  A ce titre, on peut citer l'exemple de la Floride qui a réalisé à large échelle des progrès sur les minorités au début des années 2000 en appliquant les enseignements de la recherche (les travaux de Torgesen notamment).

    Il me semble intéressant de faire mieux connaître au public français des recherches qui ont une grande portée quelle que soit leur origine car, à mes yeux, nous ferons évoluer positivement notre système à la lumière de notre propre expérience, de la recherche et de la comparaison internationale.  Notre système éducatif a précisément besoin de s'ouvrir sur ce qui se passe ailleurs dans le monde. Le caractère autocentré du débat sur l’éducation est l'une de nos limites.

    Sur cette base, je crois à une voie française propre, tenant compte de ce que nous sommes, historiquement et sociologiquement. C’est ce que j’affirme très clairement dans le livre.

     

    L'ouvrage manifeste une volonté de "prouver" les décisions, d'amener un pilotage par les résultats. Mais peut on vraiment affirme qu'on connait les "vrais leviers" pour améliorer l'éducation ?

    La fameuse phrase de Montaigne est en exergue de mon livre : « Traiter de la façon d’élever et d’éduquer les enfants semble être la chose la plus importante et la plus difficile de toute la science humaine ».  J’ai une conscience aigüe des limites de toute approche scientifique en matière d’éducation. On ne résout pas les problèmes de l’école par des équations ou des algorithmes. Heureusement, il s’agit de questions humaines avec tout ce que cela signifie sur le plan de la complexité. De mon point de vue il faut se tenir à égale distance de toute approche scientiste, utilitariste ou technocratique.

    Ceci étant, on ne peut rester à l’écart des progrès de la science et ne pas chercher à bénéficier de ses apports. Ce serait du néo-obscurantisme. Je m’inquiète quand j’entends certains se rapprocher de ce néo-obscurantisme, souvent parce que la démarche scientifique a pu invalider certains de leurs postulats. 

    Alors, oui, il y a de « vrais leviers »  pour améliorer l’éducation et leur caractère bénéfique est prouvé : une pédagogie explicite et progressive dès les premiers moments de l’école, le rapprochement parents-école, la formation des professeurs, l’autonomie des établissements, l’attention à des facteurs extra-scolaires comme le sommeil etc.

    Nous avons été trop victimes d’une approche idéologique ou « au doigt mouillé » aggravée par le caractère centralisé et bureaucratique de notre système. On doit le libérer en donnant à chacun les moyens d’agir et en éclairant l’action par la science. Je sais que les Lumières ne sont plus à la mode mais je m’en réclame tout de même !

     

    Dans ce cas pourquoi ne les avez vous pas mis en oeuvre quand vous étiez directeur adjoint du cabinet de G de Robien, puis directeur de la Dgesco sous Darcos et Chatel ?

    Cette période a été riche en expérimentations évaluées scientifiquement, probablement la plus riche de l'histoire récente en France : la mallette des parents, en 6ème, en 3ème puis en CP, les internats d'excellence,  la lecture avec « Agir pour l'école », les compétences précoces avec Montessori, etc. Pour la première fois, on a lancé des expérimentations avec des méthodes d’évaluation correspondant aux meilleurs standards internationaux.

    On aurait certainement pu aller plus loin dans l'extension à grande échelle mais nous manquions alors de transposition française à petite échelle pour valider les faits établis ailleurs. Un bon exemple est la « mallette des parents » qui a commencé par une expérimentation dans 50 collèges de l’académie de Créteil, puis a été élargie à 1300 établissements, à la suite d’une évaluation positive précise réalisée par l’École d’économie de Paris. Aujourd’hui, c’est un dispositif national encouragé par les ministres successifs et dont les conséquences positives sur les familles les plus défavorisées est prouvé.

    Comme toute personne, j’ai connu des réussites et des échecs, des forces et des faiblesses, des choses qui dépendent de moi et d’autres qui n’en dépendent pas. J’ai contribué à des évolutions dont je suis fier au ministère de l’Éducation nationale. J’ai notamment fait avancer, y compris comme recteur, l’idée que l’on peut et doit avancer par l’expérimentation, l’évaluation et la prise en compte de la recherche. Il y en a de multiples exemples dans mon précédent ouvrage « L’école de la vie ». C’est dans cet esprit que j’ai créé le département de la Recherche et du développement, de l’innovation et de l’expérimentation à la Dgesco avec un délégué dans chaque académie. De nombreuses innovations et expérimentations ont pu se développer sur cette base en France depuis le début de la décennie. Certaines expérimentations ont continué à s’épanouir, d’autres non.

    Sur le plan des politiques publiques générales, j’ai défendu avec force l’importance d’un renouveau pédagogique à l’école primaire. La question de l’ancrage des savoirs fondamentaux chez tous les élèves à l’école primaire comme outil essentiel de la vraie lutte contre les inégalités est centrale dans tout le travail qui a été mené. Ce sont des années de progrès de l’école maternelle par exemple.

    J’ai cherché enfin à ce que l’on prenne mieux en compte des travaux d’horizons très divers en cherchant les implications concrètes pour l’école. La pensée d’Edgar Morin pour avoir une vision ample de l’idéal éducatif, la recherche de Stanislas Dehaene pour mieux prendre en compte les progrès des sciences cognitives dans notre approche pédagogique, les travaux d’Eric Debarbieux pour mieux lutter de façon pratique contre la violence en milieu scolaire… autant d’approches qui ont été au centre de politiques publiques concrètes et de formation au début de la décennie.

     

    Vous défendez l'idée d'autonomie des établissements en allant jusqu'à une modulation de programmes et une mise en concurrence des établissements (publication des résultats) dans une carte scolaire élargie.  La concurrence, c'est bon pour améliorer le système éducatif ?

    La connaissance des résultats a pour objectif d’aider au pilotage des écoles, par la formation aux meilleures pédagogies, par des moyens supplémentaires quand c’est nécessaire. Ce n’est pas fait pour mettre les établissements en concurrence mais pour se placer vraiment dans une logique de progrès avec un soutien de l’institution sur la base d’une stratégie définie par l’établissement et partagée avec lui.

    Pour le primaire (qui est prioritaire), ce livre relativise l'impact de l'autonomie des établissements qui, scientifiquement et pour ce niveau, n’est pas spécialement démontrée. J’essaie surtout d’explorer ce que pourrait être une approche territoriale différente reliant davantage écoles et collèges.

     

    L'autonomie des établissements c'est surtout la hiérarchisation avec des chefs d'établissements qui recrutent, évaluent et licencient les professeurs sur le modèle du privé. En quoi cela améliorera-t-il les résultats du système éducatif ?

    Non. L’autonomie des établissements n’est pas synonyme de caporalisation mais de travail d’équipe. C’est une logique de responsabilisation. Chacun voit que c’est ce dont notre Éducation nationale a besoin de façon urgente.

    Dans la vie d’une école ou d’un établissement, il y a par définition de multiples problèmes. La plupart des solutions ne viennent pas d’en haut. Elles sont prises à bras le corps par les adultes en responsabilité. Comment réussissons-nous à donner à ces professionnels les moyens d’agir au quotidien ? C’est la question que tout responsable du système doit se poser.

    Tout ceci se passera au bénéficie des professeurs qui ont besoin d’une approche humaine et non d’un algorithme pour évoluer au cours de leur vie professionnelle. On doit offrir des opportunités de changement au sein et en dehors de l’Éducation nationale. On doit permettre à des équipes de proposer des projets pour faire progresser une école ou un établissement. Aujourd’hui, à cause de faits réels mais aussi des discours pessimistes faciles, l’institution est vue comme une chape de plomb. Elle doit devenir une référence positive qui aide chacun à s’accomplir, à proposer, à contribuer au progrès collectif.

     

    Jusqu'où faut il aller dans la régionalisation de l'éducation ?

    Je suis très attaché à la notion de service public national de l’éducation. C’est le socle de notre pays. La décentralisation et la déconcentration n’ont pas remis en question cela. Au contraire, elles sont des vecteurs de progrès.

    S’agissant du rôle des régions, il me semble que l’on est déjà allé assez loin pour le lycée général et technologique. En revanche, je pense que le lycée professionnel pourrait bénéficier d’une plus grande régionalisation. La région est désormais pleinement l’entité compétente en matière d’emploi et de formation professionnelle. Le lycée professionnel, au travers du CAP et du Bac Professionnel, est conçu pour mener directement à l’emploi. Il est donc logique d’imaginer la région en pleine responsabilité pour faire réussir les lycées professionnels.

    Cela irait de pair avec une mutation complète du contenu et de l’image des lycées professionnels, tenant compte des grandes évolutions de notre temps, au service de l’avenir de notre jeunesse.

    Je pense que le lycée professionnel doit être une grande priorité des années à venir, avec un nouveau contenu et une nouvelle image. Ce doit être le lycée des métiers de l’avenir tenant compte de la révolution numérique, des mutations de l’industrie et des services, du goût pour l’entrepreneuriat de notre jeunesse et des savoir-faire à la française. Cela peut devenir synonyme de la réussite demain alors que aujourd’hui c’est là que se concentre une bonne part du décrochage scolaire. C’est d’autant plus possible que l’on doit envisager l’ensemble dans le cadre d’un monde caractérisé par la formation tout au long de la vie.

     

    Si je chiffre bien vous envisagez d'augmenter d'un milliard le budget de l'éducation nationale ? (300 M pour les études , 600 M pour créer des postes en Rep ?)

    Le livre explique que notre budget est trop faible pour le primaire, nettement inférieur à celui de nos partenaires (Angleterre, Allemagne, États-Unis). Il y a des ciblages de moyens qu’il faut savoir opérer. C’est pour cela que je prône le dédoublement des classes maternelles quand c’est nécessaire dans les écoles les plus défavorisées.

    Il y a des dépenses en plus qu’il faut savoir faire car elles sont efficaces et ont un bénéfice direct. On peut réaliser des économies dans l’enseignement secondaire avec une meilleure gestion et une meilleure organisation. Un bon exemple de cela est la simplification du baccalauréat qui ferait gagner du temps et de l’argent à tout le système.

     

    Le livre est un vrai programme de refonte du système éducatif, de chaque niveau, du métier enseignant. C'est un programme pour quel candidat à la présidentielle ?

    Je ne l’ai pas conçu pour un président en particulier. Ce livre est fait pour alimenter le débat public à un moment crucial pour l’avenir de notre pays. Il faut de la lucidité, de l’optimisme et de la volonté. Tout le monde sent bien que notre école doit évoluer pour bénéficier à toute notre jeunesse et pour mieux réaliser l’idéal de liberté, d’égalité et de fraternité. Si ce livre peut contribuer à sortir de certaines querelles stériles et à trouver des voies de progrès, j’en serai heureux.

     

    Propos recueillis par François Jarraud

     

    Jean-Michel Blanquer, École de demain (L'), Propositions pour une Éducation nationale rénovée, Odile Jacob, ISBN : 2738133347