• L'apprentissage ne s'adresse pas aux mêmes jeunes que le lycée professionnel (Prisca Kergoat)

    L'apprentissage ne s'adresse pas aux mêmes jeunes que le lycée professionnel (Prisca Kergoat)

    Paru dans Scolaire, Orientation le mercredi 18 octobre 2017.

    "Les lycées professionnels ne gèrent pas la même population que l'apprentissage" et les comparaisons entre les deux modalités de la formation professionnelles doivent en tenir compte. Prisca Kergoat (Toulouse-2) vient de rendre un rapport, non encore publié, au FEJ (Fonds d'expérimentation pour la jeunesse) sur les discriminations à l'embauche des apprentis et elle met en évidence une très forte sélection au bénéfice de jeunes "qui auraient eu, de toute façon, moins de difficulté à trouver un emploi".

    ToutEduc : Emmanuel Macron a fait, à l'occasion de l'interview du 15 octobre, un éloge de l'apprentissage. La DEPP (le service statistique de l'Education nationale) publie une étude qui montre une nette supériorité de l'apprentissage sur le lycée professionnel en termes d'insertion dans l'emploi. N'y a-t-il pas des biais dans cette étude ?

    Prisca Kergoat : L'étude est à l'évidence sérieuse, et si l'objectif est l'insertion professionnelle, l'apprentissage réussit mieux que le lycée professionnel, même si c'est davantage vrai pour les garçons que pour les filles. En revanche, si l'objectif est de faire acquérir à la jeunesse la plus fragile un titre, un diplôme, un métier, la réponse est différente. C'est d'ailleurs ce que relèvent dans leur conclusion les auteures de l'article publié par la DEPP, lorsqu'elles s'interrogent sur le poids de la sélection à l’entrée de la formation et sur le profil des jeunes apprentis (voir ToutEduc ici).

    ToutEduc : Quelles sont les grandes différences ?

    Prisca Kergoat : Les apprentis sont souvent plus âgés. Beaucoup de ceux qui préparent un bac professionnel ont déjà un CAP, préparé dans un lycée. Ils sont souvent issus de familles populaires, comme les lycéens, mais leurs parents sont moins souvent au chômage, les mères sont plus souvent en emploi, et la précarité est bien moins importante. Ils sont également moins souvent issus de l'immigration, et leurs parents sont plus souvent nés en France. L'éviction des enfants d'origine maghrébine ou d'Afrique subtropicale de l'apprentissage est évidente. Les apprentis sont aussi plus souvent des garçons que des filles. Le nombre des formations "féminines" est beaucoup plus réduit, la concurrence entre elles est très forte, les entreprises ont le choix, et par ailleurs, elles ont beaucoup de mal à intégrer des formations "masculines", dans la mécanique ou le bâtiment. Des différences qui expliquent que l’apprentissage concurrence mécaniquement et sans grand effort le taux d’insertion des jeunes issus des lycées professionnels.

    Prisca Kergoat : Paradoxalement, les entreprises recherchent, même lorsqu'elles recrutent des apprentis, des jeunes qui aient déjà une expérience professionnelle, et de préférence des majeurs. Dans les grandes entreprises, la sélection est souvent très importante. Le taux de sélection se rapproche de celui pratiqué par les grandes Ecoles Les jeunes doivent présenter un dossier, puis passer des tests, et enfin présenter leur candidature devant un jury. D'ailleurs, 30 % des élèves des lycées professionnels ont cherché un contrat d'apprentissage, et n'en ont pas trouvé…

    ToutEduc : Le président de la République évoque un tabou, une dévalorisation de l'apprentissage.

    Prisca Kargoat : Il me semble qu'il faut plutôt commencer par valoriser la qualification ouvrière et employée, arrêter de la réduire un bas niveau de qualification (associée au niveau V et IV) et valoriser les conditions de travail et d’emploi. Enfin, dans la comparaison lycées professionnels / CFA, il faudrait comparer les taux de décrochage et les ruptures de contrat, très importantes.

    A noter un article de Prisca Kergoat sur le recrutement discriminatoire des apprentis dans la revue Diversité (voir ToutEduc ici)